Mission d’information sur la décentralisation

Depuis octobre dernier, j’ai l’honneur de présider une mission d’information de l’Assemblée nationale sur une nouvelle étape de décentralisation. Ce travail, qui m’a mobilisé chaque jeudi depuis son démarrage, a pour vocation la publication d’un rapport, à l’attention du gouvernement, présentant des pistes de rénovation des rapports entre les territoires et l’Etat central. Il part de deux postulats : 
 Les précédentes étapes de décentralisation ont favorisé l’émergence de très grandes métropoles urbaines de province (chefs-lieux de régions par exemple) qui sont en fait devenues des capitales de province et qui ont souvent pour effet de ‘vider’ les territoires périphériques de leurs énergies et de leurs dynamiques. 
 Les territoires, mêmes les plus ruraux, ont des projets, se mobilisent pour exister et se moderniser et satisfont beaucoup des besoins de leurs habitants sans avoir recours à la solidarité nationale. Ils y parviennent en mobilisant à la fois les acteurs publics (collectivités territoriales) et les acteurs privés, tissus économiques et associatifs, de manière originale et personnalisée. 
Notre mission va proposer de les aider à aller au bout de leurs projets, probablement via une contractualisation inédite avec l’État. 

À l’image de mon travail de député au quotidien, il m’a semblé que les travaux de notre mission d’information devaient être mis en regard des réalités de terrain. C’est le sens du déplacement en Aveyron que nous avons effectué il y a quelques semaines.
Avant la publication de nos préconisations pour une meilleure prise en compte des dynamiques des territoires, avec mes collègues nous avons confronté les enseignements du travail effectué depuis des mois avec : les acteurs institutionnels aveyronnais, le tissu économique, le tissu associatif.

Qu’est-ce que la décentralisation ?
La décentralisation est un processus d’aménagement de l’État unitaire qui consiste à transférer des compétences administratives de l’État vers des entités (ou des collectivités) locales distinctes de lui.
Par un long processus de décentralisation, la France, qui était un État unitaire très centralisé, est aujourd’hui un État déconcentré et décentralisé.
On distingue la décentralisation territoriale et la décentralisation fonctionnelle.
Dans la décentralisation territoriale, les autorités décentralisées sont les collectivités territoriales ou locales (communes, départements, régions, collectivités à statut particulier et collectivités d’outremer).
Dans la décentralisation fonctionnelle ou technique, les entités décentralisées sont des établissements publics chargés de gérer un service public (universités, hôpitaux publics, musées).

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Présentation de la mission d’information.
Les déséquilibres résultant de l’émergence des métropoles.
La première vague de décentralisation a permis de créer des points d’équilibre par rapport à Paris, tout en veillant au développement des zones plus rurales. Si la population s’est progressivement concentré dans les espaces urbains, les territoires ruraux sont restés occupés avec un attachement fort des habitants à ce maillage territorial à taille humaine.
La seconde vague de décentralisation prolongée en 2014 et 2015 a donné une nouvelle impulsion à l’action publique territoriale en permettant aux collectivités d’organiser de façon concertée leurs compétences. Ces évolutions ont consacré l’importance des pôles métropolitains en cherchant à construire des territoires en mesure de résister à la capitale ou à la compétition européenne. Dans le même temps, la spécificité des espaces ruraux ou ultramarins a été prise en compte avec des dispositifs dédiés. L’aménagement du territoire est ainsi organisé aux deux extrêmes, sans prendre en compte les espaces intermédiaires.
Les réussites économiques et culturelles d’une vingtaine de grandes métropoles ont eu pour effet d’absorber une partie croissante des richesses et de la croissance aux dépens de leur environnement, un phénomène encore plus sensible pour les villes moyennes que pour les zones rurales. Les populations ressentent cela comme une injustice qui génère durablement de la frustration.
Un seul chiffre témoigne du phénomène : 82 % des emplois privés, créés depuis 2009, l’ont été dans les grandes métropoles alors qu’elles concentrent 21 % de la population (hors Paris). L’attractivité des métropoles n’est plus à démontrer.
Les grandes métropoles (c’est-à-dire les espaces de plus de 500 000 habitants) et les très grandes métropoles (plus d’un million d’habitants) ont mieux absorbé les chocs de la crise ouverte en 2008-2009. Entre ces métropoles, des distinctions sont néanmoins remarquées : les meilleures performances économiques ne correspondent pas toujours aux plus hauts degrés de qualité de vie, ce ressenti variant, selon les populations concernées, en fonction du marché du logement, des facilités de transport, de la vie culturelle et de l’accès aux loisirs.

La difficile appréhension de la situation des villes « moyennes ».
Dans cette évolution, les villes moyennes historiques ont de plus en plus de difficultés à trouver leur place, tiraillées entre les grandes villes et les territoires ruraux. Les villes moyennes se situent dans un entre-deux insatisfaisant, n’ayant ni la qualité de vie offerte par les territoires ruraux ni l’attractivité des métropoles. L’absence même de définition satisfaisante de cette notion de « ville moyenne » (3), qui se focalise à tort sur la seule question de la taille, reflète bien cette difficulté à penser les espaces intermédiaires. Ces espaces intermédiaires recouvrent des réalités variables selon que la ville est à proximité ou non d’une métropole. La desserte par les infrastructures (transports, fibre…) constitue également un fort critère de discrimination.
Les espaces « en frange » des métropoles ont été identifiés comme un sujet d’étude par les ateliers des territoires. Le projet annuel de performances pour 2018 prévoit d’ailleurs que, dans ce cadre, un travail spécifique soit conduit sur les villes petites et moyennes patrimoniales. Ce thème sera également analysé en 2018 par la plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines (POPSU). De façon plus générale, le ministre de la cohésion des territoires a quant à lui annoncé un effort particulier à destination de ces espaces intermédiaires. Le projet de loi de finances prévoit que les contrats de plan 2015-2020 intègrent notamment comme objectifs, d’une part, « un renforcement des liens entre les territoires urbains et ruraux » et, d’autre part, « une revitalisation des centres-bourgs, située au carrefour des problématiques des villes petites et moyennes, des territoires ruraux et périurbains et des services publics » (4).
Dans les politiques publiques existantes, la place des villes moyennes ne fait pas l’objet d’une action dédiée, mais se retrouve de façon transversale dans les initiatives des différents acteurs de la cohésion et du développement territorial. Par exemple, on peut noter que l’agence nationale de l’habitat (ANAH) a développé une vigilance particulière sur les villes petites et moyennes. Sur un plan financier, les dispositifs de péréquation verticale et horizontale existent également, mais sans que les documents budgétaires permettent d’en retracer les modalités de mise en œuvre. Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) est un outil privilégié de redistribution, mais il reste tributaire des arbitrages et des situations locales, d’autant que les lois de 2014 et 2015 ont laissé une grande liberté aux collectivités dans la mise en œuvre de ces dispositifs comme dans la répartition des compétences.
Ces initiatives, pour positives qu’elles soient, ne proposent cependant pas d’approche globale et surtout ne pensent pas ces espaces intermédiaires par rapport aux métropoles ou par rapport aux espaces ruraux. Elles ne permettent par ailleurs pas d’interroger les structures institutionnelles à même de porter ces actions, les questions de gouvernance apparaissant déconnectées des enjeux opérationnels et peu capables de s’adapter aux réalités locales.
Toutefois, la France aujourd’hui présente une particularité qui la démarque de bon nombre de ses homologues européens et occidentaux : les territoires même les plus ruraux sont restés relativement occupés-malgré des vagues successives d’exode rural-certes avec des densités de population très faibles, mais – paradoxalement – un enracinement et un attachement qui ont modelé la configuration politico-administrative des territoires, par-delà les réformes, en maintenant les communes et en maillant cette France rurale d’intercommunalités à taille humaine, souvent indépendantes des grosses agglomérations et de leurs zones d’attraction, relativement autonomes dans leurs modes de fonctionnement, et surtout porteuses d’identités territoriales fortes qui sont au cœur des projets de territoire qui s’y développent.

Penser un nouvel équilibre de la décentralisation.
La nouvelle étape de la décentralisation est l’occasion, sur la base d’un constat partagé, de déterminer une politique d’ensemble permettant de (re) donner à ces espaces intermédiaires une place dans l’organisation territoriale du pays et de trouver un juste équilibre entre les différents espaces. Cette réflexion doit s’intégrer dans une approche globale et non privilégier le seul biais institutionnel. Il s’agit de penser l’organisation de l’espace au travers de ses dynamiques et des structures à même de porter un projet de territoire et de soutenir son développement économique, social, culturel et environnemental.

La mission d’information articule ses travaux autour de trois axes :
Comment faire émerger un cadre propice à la construction de communautés de projet assises sur des pôles territoriaux ?
Il s’agit de gagner en visibilité, d’améliorer l’identification spatiale et économique afin que chaque entité mette l’accent sur ses spécialisations et ses points forts tout en gardant ses spécificités, et puisse installer, dans chaque cas, une véritable « marque territoriale ».
Afin de donner corps à cette marque territoriale, il faudra créer une plateforme pour chaque type de produit.
Quelles conséquences tirer de cette approche différenciée en termes de gouvernance des collectivités ? Dans ce cadre,
Il conviendra de s’interroger sur la représentativité des instances, mais aussi sur le mode de fonctionnement de ces structures, en mettant l’accent sur le nécessaire partenariat entre acteurs publics et privés ; la réflexion portera également sur la modélisation des interactions des acteurs entre les territoires.
La question de l’articulation des compétences et de leur éventuel transfert devra également être examinée. Au début des années 1980, la décentralisation s’est faite en mode descendant. Un seul niveau administratif a échappé à la tentation jacobine : celui des intercommunalités, car les EPCI ne sont pas devenues des collectivités à part entière, mais fonctionnent par délégation de compétence de la part des communes qui en sont membres. Il est indispensable pour ces espaces de se doter d’un réel projet de territoire. Étant donné qu’elles sont détentrices d’une connaissance fine du territoire, les approches envisagées doivent être ascendantes, adaptées aux différents types de périmètres.

Quels mécanismes de solidarité et de soutien du développement économique ?
Si la solidarité verticale doit demeurer (responsabilité de l’État), il ne faut pas miser sur le « ruissellement » des moyens à partir des métropoles, mais interroger le mode de fonctionnement des solidarités horizontales et permettre de définir un nouveau cadre contractuel hors des seuls contrats État-région. Priorité doit être donnée à la simplification, d’autant que les différents contrats n’ont pas apporté les résultats escomptés. Les PETR devraient être reconnus comme un outil utile.
Plus généralement, le soutien des politiques locales de développement devra être analysé, notamment pour revitaliser les centres bourgs ou pour que les entreprises privées soient pleinement incluses dans ce processus. L’émergence d’une « responsabilité territoriale des territoires » pourrait être envisagée.
L’ensemble de ces questions devra permettre de nourrir la feuille de route de la future Agence de la cohésion des territoires, dont la création a été annoncée cet été par le président de la République, et de déterminer, sur la base de ce diagnostic et de ces objectifs, les moyens budgétaires et humains dont il faut la doter.
Pour collecter le maximum d’informations utiles, la mission mobilisera l’ensemble des outils disponibles et s’inscrira dans une démarche contributive et participative. Elle veillera également à introduire une approche comparative, notamment avec nos principaux partenaires européens.