Un Président, son garde du corps et la République… – Billet n°19

Depuis bientôt 10 jours, l’affaire Alexandre Benalla, du nom de l’ex-garde du corps du Président de la République occupe le devant de la scène et occulte – dans la torpeur estivale – toutes les autres actualités, jusqu’à en harasser des Français aussi ahuris que décontenancés face à un déballage qui ressemble au déroulement interminable d’une pelote de laine remplie de nœuds inextricables… On a tout eu, depuis l’exaction apparemment camouflée, à la sanction insuffisante, ou pas appliquée, en passant par la vidéo détournée, les déclarations contradictoires, la perquisition au Palais présidentiel, les interviews du présumé innocent, les avocats qui réfutent sa culpabilité, les hauts responsables de l’Elysée dont les versions des faits sont incompatibles, le Ministre de l’Intérieur qui n’a rien vu, rien entendu, qui ne sait rien, le Président de la République que tout son entourage veut disculper et qui finit par déclarer qu’il est – seul – responsable de tout, la majorité qui veut abattre les gendarmes… On aura tout eu, et les Français sont médusés… anéantis par les faits, par le climat de suspicion qu’ils font planer sur les pratiques de leurs responsables politiques, mais aussi par l’ampleur que prennent ces événements, par la confusion qu’ils suscitent au Parlement, par l’impossible sortie de crise que même la canicule ne semble pas rendre crédible…

Je me sens le devoir de vous livrer une analyse, et des explications, sans prétendre avoir raison, sans aucun esprit polémique, en tentant d’être objectif.

  • D’abord sur les faits eux-mêmes : ce qui pose problème, c’est qu’ils aient été camouflés sciemment jusqu’à leur révélation par les média. L’erreur est humaine, c’est vrai, mais la responsabilité publique est à tel point exigeante que toute exaction doit être punie à sa juste hauteur lorsqu’elle est avérée. Un proche collaborateur du Président de la République, exposé publiquement à ses côtés dans tous ses déplacements, porte une parcelle de son image publique et donc de l’image publique de la France, et – à ce titre – doit être irréprochable ou ne pas être. Aucune autre explication ne me semble tenir la corde.

Ce qui ajoute à la difficulté, c’est que ce collaborateur, de toute évidence, avait des fonctions et des missions qui relèvent des forces de l’ordre et de sécurité de notre pays. Le Chef de l’Etat, qui incarne la France, doit évidemment bénéficier de toutes les protections adéquates, et – à ce titre – pendant la durée de son mandat au moins – ne s’appartient pas vraiment et dispose de spécialistes de la sécurité dont le métier est de le protéger de tous les périls que sa fonction suprême peut faire planer sur son intégrité physique, sur ses allées et venues, sur ses proches… L’histoire de notre démocratie a démontré que nos services de sécurité sont performants puisque ni l’actuel Président ni ses prédécesseurs n’ont eu à déplorer leur faiblesse et c’est très bien ainsi… Pourquoi dès lors créer la confusion en confiant à d’autres qu’à eux ces tâche si capitales pour le Chef de l’Etat lui-même et pour toute notre nation ? Cette question se pose, doit être posée, et doit recevoir une réponse adéquate.

  • Ensuite sur le traitement de ce qui pourrait n’être qu’un fait divers… Dès lors que des dysfonctionnements qu’on peut qualifier de graves ont été détectés dans la chaîne de décision, il est naturel que des enquêtes soient diligentées. Un civil a usurpé les insignes des policiers et s’est substitué aux représentants de la force publique dans une manifestation de rue, en usant de violence. L’enquête administrative doit démontrer comment on a pu en arriver là.

L’aggravation des faits survient lorsque des éléments de preuve sont indûment détournés – au plus haut niveau – pour tenter de masquer la gravité de l’exaction ; la justice est saisie. Elle fera la lumière.

  • Reste la place et le rôle du Parlement dans toute cette affaire, et vos remarques – que j’entends et que je comprends – sur le fait que les Français attendent autre chose de leurs députés (et de leurs sénateurs) que du scandale, des postures, du blocage, de la politique politicienne, des rappels au règlement, de l’obstruction…

Ce message, c’est celui du ‘bon sens’ ; c’est celui sur lequel vous m’avez renouvelé votre confiance en juin dernier ; c’est la devise qui me suit à chaque seconde ce mon engagement pour vous. C’est aussi ce qui me fait mesurer à chaque étape du travail législatif que j’accomplis avec passion – tout en restant fidèle à mes valeurs et aux racines de mon parcours ‘politique’ – ce qui est souhaitable pour le pays, pour notre territoire, pour vous, et qui me conduit à soutenir les mesures qui me paraissent y aller… dans le bon sens.

Il n’en demeure pas moins – en l’espèce – que la question qui nous est posée, c’est celle de l’équilibre des pouvoirs, du bon fonctionnement des institutions de notre République, et donc de la pérennité de notre démocratie. Si le Président de la République enfreint les règles ; si ses subalternes – par sa grâce – outrepassent leurs prérogatives et mettent en péril l’ordre public, si les autorités responsables du bon ordre de notre société plient devant le pouvoir exécutif devenu hypertrophié, si le Parlement se voit refuser l’accès aux informations, alors c’est la démocratie qui est en péril, et la ligne rouge est franchie.

En tant que membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale, je suis également membre de la commission d’enquête qui s’est constituée pour faire la lumière sur ces événements. J’ai participé aux travaux de cette commission dès lundi dernier à 9 heures, sans aucun esprit ni partisan, ni polémique, mais pour comprendre, en votre nom, ce qu’il s’est passé, et surtout pour déceler, au nom de tous mes concitoyens si oui ou non il y a eu abus de pouvoir et contournement des règles de nos institutions. L’air de rien, c’est notre démocratie qui est en jeu, et le Parlement a aussi ce rôle de régulateur et de contrôle. Il doit le jouer pleinement, et – sans enthousiasme car ce auditionner de très hauts fonctionnaires qui servent l’Etat depuis des décennies et qui sont manifestement très affectés par ce qui leur arrive n’est pas une partie de plaisir – je considère qu’il faut participer à ces travaux.

  • Je tiens enfin à vous dire, à dire à tous les Français que le tropisme que l’emballement médiatique de ces derniers jours a fait porter sur cette affaire ne me fait pas oublier – pas plus qu’à mes collègues parlementaires – que les sujets de fond qui vous préoccupent doivent nous mobiliser exclusivement. C’est le cas : sans le dire, cette semaine, j’ai poursuivi le travail assidu engagé il y a plusieurs mois sur la loi agricole, ai préparé l’examen du texte sur les entreprises qui sera examiné dès la fin août, ai défendu des positions issues de consultations locales effectuées il y a quelques semaines sur la loi apprentissage et formation, ai reçu certains d’entre vous pour répondre à vos interrogations plus individuelles, n’ai rien abandonné du difficile combat sur les hôpitaux sud-aveyronnais ou sur la prédation du loup, ai tout fait pour être présent à vos côtés dans les innombrables manifestations qui font rayonner notre territoire.

La morale de cette histoire, qui n’est malheureusement pas une fable, c’est que nos libertés, nos valeurs républicaines les plus précieuses, sont aussi les plus fragiles et que leur préservation est l’exercice le plus exigeant auquel nous devons tous contribuer chaque jour, en gardant toujours à l’esprit que pour faire nation, un peuple doit pouvoir en toutes circonstances se reposer sur des institutions qui lui garantissent les garde-fous indispensables à la correction des inévitables errements humains auxquels même les plus hautes personnalités n’échappent pas…